Les contes divers
(CONTES DU CAUCASE)
L'oiseau merveilleux de la bouche duquel tombent les
roses de mai...
Il y avait une fois, dans un pays inconnu dont personne
n'entendit jamais parler, et à une époque immémoriale
où personne n'habitait encore ce monde - excepté le
tout-puissant Allah - un mouton gras et superbe, qui paissait nuit
et jour sur une montagne. Il broutait continuellement, se nourrissait
en outre de choses excellentes, comme le pilaf aux raisins secs, si
bien qu'il devînt extraordinairement gros et dodu. Un beau jour,
le mouton disparut et un fils naquit chez le Tzar Melik Mamed, souverain
de ce pays.
Impossible de savoir aujourd'hui si ce mouton merveilleux exista réellement,
ou s'il s'agit d'une légende colportée à travers
les siècles. Ce qui est certain, c'est que le tzarevitch Melik
Mamed, non content de naître dans de si étonnantes circonstances,
grandit si rapidement, que son vieux père, le Padischah, n'eut
pas le temps de cligner de l'œil, qu'il était déjà
grand et beau comme Joseph, sage et savant comme Platon, fort et brave
comme Alexandre de Macédoine. Les maîtres les plus savants
lui enseignèrent les sciences et il apprit l'art militaire
à l'école des plus nobles chevaliers.
Le grand Padischah adorait son fils et il aurait voulu lui éviter
le moindre désagrément ; mais il tomba subitement malade.
Sa maladie était si grave et il souffrait à un tel point
qu'il criait et se lamentait de telle sorte que gens, bêtes
et oiseaux ne pouvaient plus goûter aucun repos. Le mal du vieux
Padischah était vraiment une terrible chose et bien qu'il fût
couvert d'or, cela ne l'empêchait pas de souffrir tout comme
souffrent les créatures faites de chair et d'os.
Un proverbe dit que « pour nous, une flèche dans l'épaule
d'autrui, c'est une flèche dans un arbre. » Mais on n'aurait
pas pu appliquer ce dicton au tzarevitch Nielik Mamed. Il avait grand'
pitié de son malheureux père et il fit venir tous les
médecins du royaume pour qu'ils missent un terme à ses
souffrances. Mais aucun d'eux ne réussit à soulager
le Padischah. Alors le tzarevitch les condamna tous à mort
; puisqu'ils ne pouvaient pas guérir leur souverain, qui donc
auraient-ils pu guérir ?
Cependant, ce châtiment n'améliora en rien l'état
du malade ; il souffrait atrocement et criait si fort que tous les
oiseaux du pays s'envolèrent, les bêtes prirent la fuite
et il ne resta que très peu de gens dans le royaume.
Désespéré, le bon tzarevitch pria le Sultan voisin
de lui envoyer ses médecins. Mais il ne s'en trouva pas un
seul ; aussitôt qu'on leur parlait du Padischah, ils se sauvaient
et on ne pouvait plus mettre la main sur eux. Il en resta pourtant
un. C'était un très vieux moine, tout ratatiné
et si voûté que son nez crochu touchait ses genoux. Mais
il fallut bien en passer par lui et on l'entraîna de force chez
le Padischah. Or, le vieux moine, malgré son aspect minable,
était un grand médecin, célèbre et sage
autant que Salomon. Un de ses yeux seulement lui permettait d'y voir
encore un peu, mais il fallait qu'il le maintînt ouvert avec
ses doigts. C'est ainsi qu'il ausculta très soigneusement le
malade. Son examen terminé, le vieux moine dit :
- a Hélas, cette maladie est très grave ; c'est le démon
qui l'a envoyée et les hommes sont incapables de la guérir.
Mais si l'on trouvait l'Oiseau merveilleux - le Mourgui-Guilli-Schandan
-¬ qui, lorsqu'il chante, laisse tomber de sa bouche les roses
parfumées de mai, notre Padischah pourrait être sauvé.