Les contes divers
(CONTES DU CAUCASE)
Le roi des serpents
Cette histoire se passe à une époque où,
pendant la saison des pluies, la poussière s'élevait
en tourbillons et où, durant la belle saison, on ne pouvait
se défaire de la boue. Le soleil brillait pendant la nuit et
les étoiles pendant le jour.
Il y avait alors dans je ne sais quelle contrée, un chasseur
fameux, du nom de Ovchi-Perim. A cause de son adresse étonnante,
il était devenu le chef des chasseurs, mais, malheureusement
pour lui, il connaissait très peu le Coran. S'il avait mieux
connu la parole du Dieu de Mahomet, il aurait su que la femme doit
servir son mari et que si elle ne se soumet pas à sa volonté,
il a le droit de la morigéner et même de la battre. Au
lieu de cela et quoiqu'on pût l'appeler un vrai Croyant et un
bon Musulman, Ovchi-Perim obéissait si aveuglément à
sa femme, la jolie Tuti, qu'elle faisait de lui tout ce qu'elle voulait.
Voici ce qu'il en coûta à notre chasseur.
Un jour, cela se passait soit pendant l'hiver chaud, soit pendant
l'été froid, Ovchi-Perim grimpa au sommet d'une haute
montagne, appelée Lialwara. Pendant trois jours, il poursuivit
un troupeau de boucs noirs sans parvenir à les atteindre. Enfin,
en rampant sur le sol, il arriva à leur portée. Il ne
lui restait plus qu'à tirer ; tout à coup, levant la
tête, il aperçut sur un rocher nu, deux serpents qui
combattaient à mort. L'un était petit et blanc comme
la neige et portait une couronne d'or sur la tête ; il était
le plus faible et sur le point d'être vaincu par l'autre, un
gros serpent noir.
Ovchi-Perim, sans qu'il sût pourquoi, éprouva une grande
pitié pour le petit serpent blanc à la couronne d'or
et, au lieu de faire feu sur un bouc bien dodu qu'il s'apprêtait
à tuer, il visa le serpent noir et tira. A son coup de fusil,
le troupeau de boucs que notre chasseur avait poursuivi pendant trois
jours sur la montagne sauvage, fit un grand écart. La balle
n'atteignit qu'indirectement le gros serpent noir et le blessa à
la queue ; c'en fut assez pour l'effrayer et il laissa tranquille
le petit serpent blanc.
Pendant ce temps, le troupeau de boucs avait disparu. Notre chasseur
se gratta la nuque.
- Quelle malchance !
Il reprit sans hâte le chemin de la maison. Là, sa femme,
la jolie Tuti, le reçut très mal :
- Où as-tu vagabondé si longtemps, fils de chien, lui
dit-¬elle. Est-ce que tu t'es peut-être promené à
califourchon sur une tortue ? Mais pourquoi - tes pieds puissent-ils
devenir comme de la cire - pourquoi donc ne rapportes-tu rien ?
Ovchi-Perim raconta ce qui lui était arrivé dans la
montagne. - Je ne sais comment cela s'est passé, dit-il, mais
le petit serpent blanc me faisait tant pitié que j'ai tiré
sur le serpent noir pour le défendre.
- Parce que tu es un imbécile, tête de bouc ! reprit
sa femme. Si seulement tu avais tiré sur le serpent blanc,
tu aurais tout au moins pu m'apporter sa couronne d'or. Sur quoi donc
t'es-tu apitoyé, pauvre cervelle de poule ! Tu n'es pas plus
grand que le poing et ton cœur est comme une montagne.
Va-t'en maintenant te coucher sans manger.
Puis elle chassa son mari dans l'étable des bœufs.
Après minuit, à peine le coq eut-il chanté que,
tout d'un coup, la porte de l'écurie s'ouvrit toute grande
; sept serpents ailés y pénétrèrent, s'emparèrent
de notre chasseur endormi et l'emmenèrent vers une destination
inconnue. La nuit était très sombre et on ne distinguait
rien. Notre Ovchi-Perim marchait, marchait... Enfin, il s'aperçut
que les serpents commençaient à descendre. Ils pénétrèrent
en effet dans un souterrain et y conduisirent notre chasseur pendant
sept jours et sept nuits, dans une obscurité telle qu'on y
perdait la vue. Soudain, ils se trouvèrent à l'entrée
d'une caverne si immense et si haute qu'on ne pouvait en apercevoir
la voûte. Au milieu de la caverne, il y avait un trône
d'or, autour duquel des serpents se tenaient dressés sur leurs
queues ; ils étaient complètement noirs et l'on remarquait
immédiatement que c'étaient là des serpents-bourreaux.
Tout alentour, d'innombrables serpents tapissaient les parois de la
caverne ; ils tenaient dans leurs bouches des pierres précieuses
de couleurs différentes qui étincelaient à tel
point que, jusque dans ses profondeurs, la caverne était illuminée
comme par des milliers de petites lampes multicolores.
- Seigneurs, demanda en tremblant Ovchi-Perim à ses compagnons
les serpents, où suis-je et pourquoi m'avez-vous amené
ici ? Au nom de Dieu, je vous en prie, dites-le moi, car la peur me
fait remonter le cœur dans la gorge et je voudrais mourir.
A ces mots, les serpents ailés qui jusqu'alors n'avaient pas
prononcé une parole, tranquillisèrent Ovchi-Perim :
- Tu te trouves dans le palais du roi des serpents. C'est sur l'ordre
de notre Tzar que nous t'avons enlevé et conduit jusqu'ici,
car nous sommes ses ministres et ses courtisans. Mais ne crains rien,
personne ne te fera de mal, car tu as sauvé la fille du Tzar
en éloignant d'elle le méchant serpent qui voulait la
tuer. Tout à coup, un grand calme se fit et du fond de la caverne
apparurent encore d'autres serpents : les petits glissèrent
les premiers, les grands à leur suite, tous deux par deux,
chacun tenant dans sa bouche une pierre précieuse. Ils glissent,
glissent en formant une chaîne sans fin. Derrière eux
rampe un serpent énorme, presqu'aussi grand qu'un taureau,
blanc comme de la neige ; il porte une couronne d'or sur la tête.
Le roi des serpents - car c'était lui - grimpa sur le trône,
s'enroula en spirale et fit signe de la tête. Les serpents ailés
saisirent Ovchi-Perim et le placèrent devant le trône
du roi-serpent.
- C'est toi qui a sauvé ma fille unique et bien-aimée
et ta récompense sera grande, dit le Tzar à Ovchi-Perim.
Mais j'ai encore un service à te demander : c'est de reconnaître
le malfaiteur, afin qu'il n'échappe pas à ma colère
et au châtiment qu'il mérite. Ma fille ne le connaît
pas et il n'y a que toi qui puisse nous le désigner.
Le Tzar ordonna alors que les serpents du monde entier défilassent
à travers la caverne, devant le chasseur. Les ministres divisèrent
par groupes tous les serpents de l'univers ; ils mirent à part
tous les serpents noirs, mais Ovchi-Perim ne trouva point parmi eux
l'offenseur de la fille du Tzar. Après les serpents noirs défilèrent
les serpents gris, puis les bigarrés et à leur suite
les ,jaunes. C'est parmi ces derniers que notre chasseur reconnut
le malfaiteur à sa queue coupée par la balle ; en vain
le rusé serpent s'était-il enduit tout le corps de terre
jaune : l'œil exercé du chasseur ne s'y trompa point.
Ovchi-Perim le désigna au roi des serpents qui le livra aux
bourreaux pour être condamné à une cruelle torture
: ils retournèrent sa peau et y introduisirent des fourmis.
- O fameux chasseur Ovchi-Perim, demanda le roi-serpent, que faut-il
te donner pour récompense ? ... Veux-tu autant de pierres précieuses
que tu pourras en emporter ou préfères-tu posséder
le pouvoir de comprendre le langage de tous les êtres de l'univers,
des bêtes et des oiseaux ?
Ovchi-Perim réfléchit.
- O Roi-serpent. dit-il, la chasse est ma seule jouissance et je ne
recherche pas les richesses. Or, si j'ai de la chance à la
chasse, il y aura aussi de l'abondance dans ma maison et comment n'aurais-je
pas de chance si tu me donnes le pouvoir de comprendre tout ce que
les bêtes se disent l'une à l'autre. Je préfère
donc connaître le langage des bêtes.
- Qu'il soit fait selon ton désir. Mais ne laisse voir et ne
dis à personne que lu possèdes ce pouvoir. Si tu divulgues
ce secret, la nuit même, tu seras déchiré en petits
morceaux par les bêtes sauvages. Puis le Roi-serpent toucha
de sa langue les oreilles de notre chasseur.
Les serpents volants, vizirs du roi, reconduisirent Ovchi ¬Perim
dans le monde des vivants. Il arriva à grand’ peine à
la maison. Là, sa femme, la jolie Tuti, l'attendait depuis
très longtemps avec impatience ; elle lui demanda d'un ton
irrité :
- Où donc as-tu de nouveau vagabondé, fils du diable...
N'as-¬tu pas honte ? J'ai failli mourir de faim en ton absence.
Ovchi-Perim raconta ce qui lui était arrivé et tout
ce qu'il avait vu.
- Et que t'a donné le roi des serpents en récompense
de tes services ? demanda la jolie Tuti.
Il s'en fallut de peu que notre chasseur laissât échapper
son secret. Il mit heureusement à temps son poing sur sa bouche
et répondit tranquillement :
- Il m'a récompensé... avec rien. C'est-à-dire...
il m'a bien offert des pierres précieuses, mais je ne les ai
pas acceptées. Qu'en aurions-nous fait ?
- Ane que tu es ! Fils de chien ! lui cria sa femme en colère.
Depuis que je t'appartiens, j'ai très souvent eu faim ; plus
d'une fois les voisins se sont moqués de moi parce que je ne
suis habillée que de chiffons, comme une mendiante, et pour
une fois dans ta vie que tu as l'occasion de t'enrichir, tu la laisses
échapper ! Puissent les corbeaux te déchirer. Puisse
la terre t'engloutir vivant !
- La jolie Tuti gronda, gronda... Il s'en fallut de peu que, dans
sa colère, elle n'arrachât les yeux de son mari, qui
lui échappa à grand’ peine et se sauva dans les
montagnes pour chasser.
Ovchi-Perim avance. Mais qu'est-ce donc ? Il lui semble avoir de nouvelles
oreilles et tout autour de lui paraît changé. Les insectes
sous l'herbe, les oiseaux dans les arbres, les moutons dans le pâturage,
tous s'entretiennent et s'interpellent dans un langage que notre chasseur
comprend comme s'il s'agissait d'un langage humain. Un grand aigle
vole au-dessus de lui ; bientôt, il en croise un second qui
l'interpelle :
- D'où viens-tu donc, mon frère ?
- De Sourn-Dach (nom d'une montagne élevée qui signifie
« pierre aiguë »). Ah ! il y a là un fameux
troupeau de boucs, regarde, j'en ai déjà enlevé
un !
Et voilà notre heureux chasseur renseigné. Il s'en alla
tout droit dans la direction du Sourn-Dach et y tua un gros bouc.
Dès ce moment-là, la chance l'accompagna : il apprit
à connaître tous les repaires des animaux. Il commença
à former un troupeau chez lui et ce nouveau métier lui
porta bonheur. Il éleva surtout des moutons ; toujours par
leur langage à eux, Ovchi-Perim apprenait où l'herbe
était la plus tendre, où l'eau était la plus
fraîche : les moutons engraissaient comme par enchantement et
son troupeau s'augmentait de jour en jour ; il était maintenant
plus riche que tous ses voisins.
Mais sa femme Tuti, malgré sa richesse, n'était pas
encore satisfaite : elle mourait de curiosité. Pourquoi donc
Ovchi-Perim avait-il eu tout à coup tant de chance ? Sans doute,
s'était-il passé quelque chose d'extraordinaire. Elle
suivait son mari sans cesse et partout où il allait, remarquait
tout, l'interrogeait sur tout.
Un beau jour, notre chasseur, accompagné de sa femme, s'en
alla rendre visite à des connaissances ; il était à
cheval; mais selon la coutume du pays, sa femme voyageait sur un âne.
L'âne avançait avec peine : il laissait pendre ses oreilles,
fermait les yeux, allongeait les lèvres et trébuchait
à chaque instant.
- Mais bouge donc ! lui criait le cheval d'Ovchi-Perim. Ne dirait-on
pas que tu vas crever ! Si tu continues à marcher de cette
allure, nous ne serons pas arrivés à destination avant
minuit !
- C'est bien facile, reprit l'âne, de trotter joyeusement comme
tu le fais, quand on est bien repu, mais moi, je n'ai rien mangé
depuis deux jours.
- Mais qu'as-tu donc fait toute la nuit, demanda le cheval, n'y avait-il
pas de bardanes dans ton champ ? Ne pouvais-tu t'en rassasier et choisir
les meilleures ?
- Tu en parles à ton aise, reprend l'âne. Crois-tu donc
que je puisse choisir ? C'est très facile pour vous, les sots,
de choisir, puis de manger, mais nous autres, nous réfléchissons
tout d'abord. Comment peut-on choisir si, à la même place,
ont poussé deux bardanes tout à fait pareilles. Voici
déjà deux nuits que je me demande laquelle je dois manger
en premier lieu ; l'une est bonne, l'autre n'est pas mauvaise, c'est
là la question. Mais je n'en ai goûté aucune et
voilà pourquoi je suis affamé aujourd'hui.
En entendant les paroles de l'âne, Ovchi-Perim éclata
de rire. Sa femme, étonnée, lui demanda :
- De quoi peux-tu bien rire à t'en tenir les côtes !
- Parce que notre âne est un grand sot. Ecoute donc ce qu'il
raconte...
- Comment donc peut-il parler'? Comment comprends-tu ce qu'il dit
? Eh ! voilà qui n'est pas très clair, tu me caches
quelque chose. Eh bien parleras-tu ? De quelle manière as-tu
pu comprendre ce qu'a dit l'âne au cheval ?
Notre chasseur fourra son chapeau dans sa bouche... mais il était
trop tard, il en avait déjà trop dit ! Il essaya, mais
en vain, de détourner la conversation. Sa femme insistait toujours.
- Je ne puis pas te raconter cela, dit-il enfin, car si je te dévoile
ce secret, cette nuit-même les loups me dévoreront. Ne
m'oblige pas à le faire, je t'en prie !
Niais la jolie Tuti n'en croyait rien ; elle s'entêta au contraire
encore davantage:
- Raconte-moi tout, sinon je mourrai d'ici ce soir ; je ne puis souffrir
que tu me caches quelque chose. Ah ! que je me sens mal, retournons
vite à la maison... je veux mourir dans mon lit. N'as-tu donc
pas pitié de moi ?
Puis elle commença à sangloter et se laissa tomber de
son âne jusqu'à terre. Que faire ? Le pauvre mari fut
pris de pitié pour elle ; à son tour, il se mit à
pleurer et lui promit de tout lui dire une fois à la maison.
Notre chasseur ramena à grand’ peine sa femme défaillante
; il dut soutenir ses pas et la mettre au lit ; la jolie Tuti était
tout simplement en train de mourir de curiosité.
- Dépêche-toi donc, raconte vite, sinon je meurs !
- Ah ! quelle fatalité, dit Ovchi-Perim. Permets-moi tout au
moins de mettre mon cheval à l'étable. Je reviendrai
immédiatement et te raconterai tout, que j'y perde ma tête
ou non !
Il sortit dans la cour. Devant la porte, le grand chien étendu
se cachait les yeux avec sa patte et pleurait lamentablement. Autour
de lui, le coq se promenait et caquetait joyeusement avec ses poules
; il paraissait heureux, chantait, grattait le fumier.
Le dialogue suivant s'engagea bientôt entre le coq et le chien
: - Hé, qu'as-tu donc à pleurer, fils de chien ?
- Ah ! c'est que j'ai grand’ pitié de notre pauvre maître.
Sa femme va lui arracher un secret et s'il le lui dévoile,
il sera dévoré par les loups cette nuit-même.
Mais il est sans énergie et ne peut rien lui refuser !
- A mon avis, reprend le coq, personne ne devrait avoir pitié
de lui ; il est tout simplement un grand sot : il n'a qu'une seule
femme et n'arrive même pas à la soumettre à sa
volonté. Regarde ! moi j'en ai douze ; elles se promènent
où je veux et c'est moi qui les gouverne toutes : que l'une
d'elles se permette de me contredire, je la saisis par la crête
et elle devient molle comme de l'étoffe ! Si notre maître
était un homme intelligent, il prendrait un bâton et
se mettrait à battre sa Tuti comme elle le mérite ;
cela lui serait salutaire : elle ne ferait plus de folies et lui deviendrait
un véritable mari, maître chez lui, et... il n'aurait
plus à craindre les loups.
Ovchi-Perim avait entendu toute la conversation que venaient d'échanger
le coq et le chien. Il se plongea dans de tristes réflexions
:
- Ah ! se disait-il, cela lui est bien facile de se faire obéir
à Monsieur le coq ! Il a douze femmes, mais moi, je n'en ai
qu'une et je l'aime de tout mon cœur. Comment donc pourrais-je
lever un bâton sur elle ? Comment pourrais-je lui refuser quelque
chose ? Dieu m'en garde!
Il revint auprès de sa femme et lui raconta tout ce qu'elle
avait voulu savoir.
- Ce n'est que cela, dit-elle après avoir entendu le récit
de son mari. Je pensais que tu avais quelque chose de plus extraordinaire
à me dévoiler. Quel beau profit pour moi que tu comprennes
ce que disent les chiens et les ânes ! Et maintenant, les loups
vont s'attrouper et te chercher ! Sors de la maison et fuis n'importe
où, car je mourrai certainement de peur s'ils viennent ici
!
Le malheureux chasseur fit ses adieux à sa femme, sortit de
la maison et s'en alla au hasard. La nuit tombait ; il atteignit les
pâturages où paissent les moutons en été
quand l'herbe de la vallée commence à se faire rare.
Il aperçut bientôt une tente dressée ; en dehors
de la tente, près du foyer, un très vieux berger était
assis ; selon la coutume, il avait en mains un long bâton, terminé
en forme de crochet et il était entouré de douze chiens,
de ces fameux chiens de berger, complètement blancs, au poil
ras ; leur corps maigre; sillonné de veines, atteignait un
homme à hauteur de taille. C'étaient de véritables
chiens d'Altin-I-Tliar, pur sang.
- Salut à toi, mon père, dit Ovchi-Perim au vieux berger.
- Salut à toi, mon petit fils. Que ton chemin soit facile !
Où vas-tu ? Pourquoi es-tu en route ?
Ovchi-Perim lui raconta son malheur. Le vieux branla la tête
:
- Ah ! tu as eu grand tort d'obéir à ta femme, tu es
très coupable, mais peut-être Dieu te sera-t-il miséricordieux.
Approche-¬toi du feu ; mes chiens te garderont et ne t'abandonneront
pas quand les loups viendront, car chacun d'eux est assez fort pour
combattre mille d'entre eux.
La nuit descendait et l'obscurité devenait effrayante. Bientôt,
les loups commencèrent à hurler dans le lointain. Une
seule voix retentit tout d'abord, à laquelle des centaines
d'autres répondirent. A chaque minute, les hurlements se rapprochent
; déjà Ovchi¬ Perim distingue les yeux des loups,
qui luisent comme des charbons ardents dans l'obscurité, aussi
nombreux que les étoiles du ciel. Toujours plus près
et dé tous côtés, la horde s'avance ; notre pauvre
chasseur croit entendre le grincement de leurs dents acérées.
Tout à coup, tous ensemble, ils font mine de se jeter sur Ovchi-Perim.
Peine perdue ! les chiens du berger se sont dressés comme un
rempart autour de lui. Une lutte terrible s'engagea alors ; chacun
des douze chiens combattit à lui seul mille loups. Vers minuit
déjà, un tas de cadavres s'élevait autour du
feu ; plus d'un millier d'adversaires avaient été déchirés
par les braves chiens du berger. Mais ceux qui restent sont encore
dix fois plus nombreux et l'horrible carnage se prolongea jusqu'à
l'aube. Les chiens commencèrent à faiblir. Le premier
tomba : en un clin d'œil, il n'en resta plus un seul poil. Un
second, puis un troisième s'abattirent ; alors les loups prirent
le dessus et parvinrent jusqu'au malheureux chasseur qui fut déchiré
en petits morceaux, dont le plus grand fut son oreille gauche.
Trois pommes sont tombées du ciel :
La première est pour moi, le conteur ; la seconde est pour
vous, lecteur, et la troisième, nous la donnerons à
un cochon, afin qu'elle ne soit pas prise par cette misérable
Tuti, qui fut cause de la mort si affreuse de notre pauvre chasseur
Ovchi-Perim !
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