Contes et légendes d'Europe
Provenant du Danemark
Olsen, le forgeron
Olsen, le forgeron, était certainement un brave
homme, un homme connaissant bien son métier. Mais qui peut
se vanter d'être parfait? Il lui arrivait de ne pas réussir
à forger convenablement un fer à cheval. Les clients
alors l'accablaient de reproches : « Maladroit ! Tu n'as pas
honte ! Quel mauvais forgeron tu fais ! »
Un jour où tout semblait aller de travers, un diablotin apparut
brusquement dans la forge. « Bonsoir, Olsen ! » dit-il.
Le forgeron, sans crainte, entra en conversation avec l'envoyé
de Satan et lui exposa ses doléances : « Non, ce n'est
plus supportable! Pour contenter les gens, il faudrait réussir
un fer d'un seul coup de marteau et le fixer ensuite d'un autre coup
! » - « Eh bien! dit le petit diable, tu seras en mesure
de le faire si tu me vends ton âme ! » Ils marchandèrent
quelque temps et Olsen déclara finalement: « D'accord,
à condition que je sois considéré, dorénavant,
comme le meilleur forgeron du monde !»
A partir de ce jour, les affaires d'Olsen prirent un développement
extraordinaire. D'un seul coup de marteau il tirait d'un bloc incandescent
le plus beau des fers à cheval. Et il le fixait ensuite comme
par magie au sabot de l'animal. Le diable avait vraiment tenu parole
et tout le pays parla bientôt de la maîtrise d'Olsen.
Personne ne lui arrivait à la cheville. Il laissa pousser une
barbe flamboyante, se vêtit de soie et de velours et porta au
cou une chaîne d'or. Les clients qui ne l'abordaient pas avec
tout le respect voulu, s'entendaient demander : « Ne savez-vous
donc pas qui je suis?»
Là-haut, dans le ciel, d'où l'on voyait les étincelles
de l'enclume, le bon Dieu fut mécontent d'une telle vanité,
d'une telle insolence. Il envoya à l'orgueilleux forgeron un
de ses archanges sous l'aspect d'un chevalier noir, avec deux chevaux
qu'il fallait ferrer. Ce travail exécuté, le chevalier
frappa sur l'épaule d'Olsen : « Pour ton salaire, fais
trois voeux qui seront réalisés. » - « Eh
bien! dit le forgeron, je souhaite que personne ne puisse descendre
de mon poirier sans ma permission, pas plus que de se lever de mon
fauteuil sans que je le veuille, et que nul être ne soit autorisé
à prendre quelque chose dans ma bourse si je n'y consens. »
C'étaient là des voeux bien terre à terre, et
l'archange bougonna: « Tu aurais pu demander le salut éternel.
Mais, ainsi, tu restes au pouvoir du diable. » Malicieusement,
Olsen répliqua: « Le bon Dieu pourrait peut-être,
un jour, y trouver son compte... »
Un bel après-midi, le diablotin apparut dans la forge: «
Ton heure est venue, dit-il à Olsen, apprête-toi à
me suivre en enfer. » Le forgeron répondit: « Entendu,
mais pendant que je me prépare au voyage,
grimpe sur mon poirier et savoure quelques fruits. » Sans méfiance,
le petit diable monta sur l'arbre et se régala. Mais il ne
tarda pas à remarquer qu'il était comme cloué
aux branches et qu'il ne pouvait plus descendre. Il se mit à
hurler et à se débattre. Le forgeron lui cria: «
Donne-moi encore dix ans de vie et je te délivrerai. A moins
que tu ne préfères rester dix ans accroché au
poirier, exposé au soleil, à la pluie et au vent!»
Bon gré mal gré, le diable dut consentir au marché
proposé par le forgeron. Il se retira en marmonnant des injures
et 0lsen, souriant d'aise, se dit: « Voici un de mes tours;
je t'en réserve d'autres ! »
Dix ans plus tard, le diablotin reparut. « Cette fois-ci, s'écria¬t-il,
je me garderai de monter sur le poirier! » Olsen prit un air
affairé et dit: « Laisse-moi vite encore planter un clou;
en attendant, prends place dans le fauteuil. » Sans méfiance,
le diable s'assit et - vous l'avez deviné - ne put se relever.
II dut accorder de nouveau, pour acheter sa délivrance, dix
ans de vie supplémentaire au rusé forgeron. Quand ce
temps fut écoulé, Olsen, qui était devenu un
vieillard, accueillit le diablotin fort amicalement. « Oh !
oui, soupira-t-il, je suis las de la vie et je veux bien mourir, résigné
que je suis d'aller en enfer. Mais, dis-moi, n'y a-t-il pas un fleuve
à traverser dans la barque du passeur? »
- « Oui, oui, répondit le diable, et il y a même
plusieurs auberges le long du chemin; quant au passeur, il est d'usage
de lui donner un bon pourboire. » C'était précisément
ce qu'Olsen voulait l'amener à dire. « Un pourboire,
s'écria-t-il, serais-tu assez aimable pour regarder dans ma
bourse si je dispose d'assez d'argent ? » - « Un homme
comme toi, remarqua le démon avec un gros rire, possède
certainement une fortune. » Mais le diablotin était curieux
de savoir quelle somme le forgeron possédait. Il s'introduisit
dans la bourse. Olsen la ferma aussitôt, la serra dans un étau
et se mit à la frapper à coups de grands et de petits
marteaux. Le diablotin tenta de s'échapper par une fente, et
il hurla comme un possédé. Enfin, le forgeron lui asséna
un tel coup - un maître coup - que diablotin et bourse volèrent
en éclats aux quatre coins cardinaux.
Là-haut, au ciel, le bon Dieu ne cachait pas sa joie. «
Ouvrez toutes grandes à Olsen les portes du Paradis, ordonna-t-il,
il a bien mérité de jouir des béatitudes éternelles.
»
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