Contes et légendes d'Europe
Provenant de Suède
Les lièvres du roi
Qu'il est triste pour un père d'avoir des enfants
paresseux ! C'était le cas d'un paysan dont les trois fils
détestaient le travail. Un jour, il était assis, la
mine si sombre que le roi, passant à cheval, lui demanda la
cause de son chagrin. Le père, n'osant avouer la vérité,
dit : « Mes trois fils sont si
laborieux et si habiles que je ne sais comment les occuper. »
Le souverain répliqua vivement : « Cela tombe bien. L'un
d'eux peut devenir roi, car celui qui pourra garder pendant quatre
jours mes cent lièvres et les ramener au palais, sera prince
héritier. »
L'aîné eut tôt fait de se mettre en route. Sur
son chemin, il vit une vieille femme qui, en voulant fendre du bois,
s'était pris le nez dans un tronc. La pauvre vieille supplia:
« Jeune homme, viens à mon secours! » Mais celui-ci
passa outre en grommelant : « Je n'ai pas le temps, débrouille-toi!
» Le lendemain, il conduisit les cent lièvres dans les
champs. Le soir, il ne lui en restait plus un seul. Le roi, armé
d'un poignard, accourut et lui dit: « Pour ta punition, je m'en
vais te couper une mèche de cheveux sur la tête. Baisse-toi!
»
Il en alla de même avec le deuxième fils. Lui aussi vit
la vieille au nez pris dans l'arbre et se moqua d'elle. « Je
n'ai jamais rien vu de plus drôle ! » s'esclaffa-t-il.
Mais, pas plus que son frère, il ne réussit à
ramener ses lièvres qui se dispersèrent dans le bois.
Et le roi, qui attendait déjà, fit enlever deux mèches
sur la tête du paresseux. Le père ne voulait pas laisser
partir Wulf, le cadet, qui se mit tout de même en route. Le
jeune homme eut pitié de la vieille au nez toujours pris dans
l'arbre. « Courage, petite mère, je viens à ton
secours ! » Et, sans lui faire mal, il élargit la fente
tant et si bien qu'elle put dégager son nez. II lui offrit
ensuite quelque nourriture qu'il tira de ses provisions. La vieille
se confondit en remerciements et lui donna une flûte de berger.
Puis elle expliqua : « Si l'on souffle dans l'une des extrémités,
le troupeau s'égaille. Si l'on souffle dans l'autre, les bêtes
se rassemblent immédiatement. » C'était, en vérité,
l'instrument qu'il lui fallait.
En ville, il se fit indiquer l'endroit où l'on gardait les
lièvres. Il souffla dans sa flûte et tous les animaux
se dispersèrent. Sans souci, il s'allongea dans l'herbe et
s'endormit. Au coucher du soleil, il se réveilla, retourna
sa flûte et souffla de nouveau. Les lièvres accoururent
de la forêt et de la montagne, comme attirés par une
force irrésistible, et le jeune homme les ramena aux écuries
du palais. Mais le roi, qui avait compté sur trois mèches
de cheveux, fut fort contrarié de ce retour. - Le lendemain,
une jolie paysanne vint vers Wulf et le pria de lui vendre un de ses
lièvres. Wulf devina immédiatement qu'il avait affaire
à la fille du roi, déguisée en paysanne. «
Si tu m'accordes ce que je te demanderai tout bas à l'oreille,
dit-il, tu auras ton lièvre. » Elle obéit en se
disant: « Personne ne me voit.» Et, toute réjouie,
elle emporta l'animal. Alors qu'elle approchait du
palais, Wulf souffla dans sa flûte. Le lièvre bondit
hors du panier, et, tout d'une traite, regagna le troupeau. Il restait
encore deux jours. Alors la reine, déguisée aussi en
paysanne, s'en vint trouver Wulf et le supplia de lui donner un lièvre.
Pour finir, le roi lui-même, ayant emprunté l'aspect
d'un voyageur, et monté sur un ânon, arriva en trottinant
dans la lande et assura que, pour ne pas mourir de faim, il devait
absolument acheter un lièvre. A chacun le jeune homme demanda
un prix original qu'ils payèrent volontiers,. Mais peu après
un son de flûte faisait accourir les bêtes. Le quatrième
soir, il les ramena, au complet comme toujours, aux écuries
du palais. Les lièvres marchaient derrière lui au pas
de parade à travers la ville, et Wulf, qui se rengorgeait,
disait: « Maintenant, je suis le prince héritier. »
« Pas encore, répliqua le roi. Raconte-nous tout d'abord
comment tu t'y es pris pour réussir. » On érigea
une estrade et l'on rassembla le peuple. « Vide ton sac maintenant!
» dit le roi. Et Wulf commença: « La princesse
vint la première. Pour un lièvre, j'exigeai un baiser
et l'obtins.» La foule se mit à rire, cependant que la
princesse rougissait et que la reine pensait : « Il ne m'a sûrement
pas reconnue. » Mais Wulf poursuivit: « Le surlendemain
une paysanne vint à moi; je devinai aussitôt que c'était
notre bonne reine. Je lui donnai un lièvre, mais elle dut préalablement
se tenir sur la tête, les pieds en l'air. » La foule se
tordit de rire. La reine perdit connaissance, cependant que le roi
esquissait un sourire, car il pensait aussi : « Il ne m'a sûrement
pas reconnu.» Quand le silence fut rétabli, Wulf continua
: « Enfin vint à moi, monté sur un ânon,
un voyageur affamé, qui en réalité était
notre gracieux seigneur le roi. Afin de pouvoir emporter un lièvre,
il se plaça, à ma demande formelle, devant l'âne,
l'appela petit frère et s'inclina trois fois devant lui. Il
dut ensuite certifier que l'âne était dix fois plus beau
et cent fois plus intelligent que lui. En récompense il reçut
un lièvre que je rappelai bientôt à moi, comme
les deux autres, au son de ma flûte. »
La foule ne se tenait plus de joie et de formidables éclats
de rire saluèrent ces révélations. Partout on
entendait dire que l'on ne s'était encore jamais autant amusé.
Chacun fut d'avis que l'on ne pouvait garder pour roi un homme qui
s'était incliné devant un âne et que Wulf devait
prendre immédiatement possession du trône. On le porta
en triomphe au palais et tous se réjouirent d'avoir un roi
d'humeur si joyeuse.
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