Contes et légendes d'Europe
Provenant de Bulgarie
Petite Aurore
Dans un beau château, sur le mont Witosch, habitait
un riche « Pomak », c'est-à-dire un comte. Mais
son cœur était triste, car sa fillette Drina, blanche
comme neige dans son petit lit, était malade à mourir.
Personne ne semblait pouvoir la sauver, et même les plus célèbres
médecins étrangers ne parvenaient pas à déterminer
le mal dont l'enfant souffrait. Un jour que le comte, rongé
de souci, chevauchait à travers la forêt, il rencontra
une étrange vieille qui lui dit : « Moi seule je puis
sauver ton enfant, emmène-moi au château ! » Le
comte eut envie de la rabrouer en la traitant de vilaine sorcière.
Mais il se ravisa en pensant: « Après tout, il n'en peut
résulter aucun mal. » sans entrain, il hissa la singulière
créature sur son cheval. A peine arrivée au château,
la vieille se faufila dans la chambre de Drina. « L'enfant,
dit-elle, est atteinte de la maladie de la nuit. » Pour la guérir,
elle prescrivit à Drina de regarder, dès son réveil,
l'aurore dans le ciel, et aussi le reflet de cette aurore dans la
rivière, tout en récitant cette mélopée
: Descends des hauteurs, Monte des profondeurs, Aurore !
Donne-moi la santé, Donne-moi la beauté l
Cette invocation eut un effet miraculeux. Le lendemain déjà
Drina souriait. Au bout d'une semaine, une teinte rosée, pareille
au reflet de l'aurore, colorait ses joues et, un mois plus tard, Drina
rayonnante de santé, de fraîcheur, de beauté,
égalait en éclat les roses du jardin. L'étrange
vieille prit alors congé de la fillette en lui disant : «
Souviens-toi que l'aurore et son reflet appartiennent à la
fée Eos. Nous lui en avons emprunté ce qu'il fallait
pour te guérir. Elle n'en accordera pas davantage. Ce serait
donc la voler que de continuer à utiliser la mélopée
que je t'ai apprise. Ne le fais plus ! » Drina prit cette défense
en mauvaise part et, avec insolence, renvoya sa bienfaitrice.
Bientôt la nouvelle se répandit que Drina, resplendissante,
méritait le titre de « Petite Aurore», Les louanges
qu'on lui adressait l'engagèrent à devenir toujours
plus belle. Or, comme cela n'était
possible qu'en récitant la mélopée, elle ne tint
aucun compte des recommandations de la vieille femme de la forêt.
Elle continua et sa beauté devint telle que tout le monde affirma
bientôt que Drina était la plus merveilleuse fille du
pays. - Durant quelque temps, elle jouit de sa beauté. Mais,
les nuits suivantes, un petit oiseau blanc l'éveilla en lui
gazouillant : « Tu es une voleuse!» Ce fut ensuite un
corbeau tout noir qui lui croassa aux oreilles: « Ne dérobe
plus d'aurore! » Un hibou se posa sur son lit, roula ses gros
yeux d'or et hulula: « Rends l'aurore que tu as volée
! » Chaque fois, Drina se blottit plus profondément sous
ses couvertures, tout en répétant avec obstination:
« Oiseau, tu es certainement la vieille femme de la forêt.
Eh bien, malgré toi, je prendrai autant d'aurore qu'il me plaira
et ne rendrai pas celle que j'ai déjà ! » Le lendemain,
le comte et sa suite, au son du cor, partirent pour la chasse dans
les montagnes. Pleine d'entrain, Drina chevauchait en tête du
cortège. Bientôt, un épais brouillard enveloppa
chevaux et cavaliers, qui s'étaient dispersés. Ils ne
se retrouvèrent qu'auprès d'un feu qu'un des piqueurs
avait allumé. Mais Drina avait disparu. On cria son nom aux
échos; « Drina, Petite Aurore ! » On sonna du cor
et les cavaliers partirent à sa recherche dans toutes
les directions. Mais en vain. Drina demeurait introuvable. Dans sa
douleur, le comte fit le vœu de ne pas rentrer au château
sans sa fille bien-aimée.
La fée Eos, fort courroucée, avait, sans qu'on s'en
aperçût, enlevé Drina et l'avait cachée
dans une anfractuosité du rocher. Les trois oiseaux arrivèrent
à tire-d'aile. « Obéiras-¬tu enfin ? »
lui
demandèrent-ils. Mais la fillette, toujours obstinée,
répondit sèchement: «Non ! » Pourtant, au
bout d*une semaine, comme elle mourait de faim, elle promit de ne
plus jamais réciter la mélopée. Alors le corbeau
lui apporta chaque jour un pot de miel. Elle refusa toutefois de rendre
l'aurore qu'elle avait volée, car elle voulait conserver sa
beauté. Sept fois, elle vit le soleil se coucher, mais, en
réalité, sept années avaient passé. L'entêtée
était restée solitaire, tout ce temps-là, sur
son rocher.
Pendant ces années, le comte, cherchant inlassablement ¬sa
fille, parcourait la montagne, échevelé, la barbe hirsute,
le visage décharné. Sans trêve ni repos, sa voix
retentissait dans la solitude. Enfin, par une nuit des plus sombres,
Drina entendit cette voix et cria : « Père, où
es-tu ? » Elle perçut cette réponse : «Ah!
si j'avais une lumière, je te sauverais ! » Au même
instant, les oiseaux arrivèrent. Drina, tombant à genoux,
les supplia: « Reprenez toute l'aurore que j'ai volée
et faites-en une lumière pour mon père ! » La
jeune fille n'avait pas encore fini sa phrase que ses joues répandirent
une lumière éblouissante... C'était l'aurore
qu'elle rendait et qui illuminait toute la montagne, si bien qu'on
se serait cru en plein jour.
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