Contes et légendes d'Europe
Provenant du Portugal
Le prince aux longues oreilles
Il était une fois un roi et une reine qui gouvernaient
leur pays avec sagesse et droiture. Ils avaient gagné l'affection
du peuple par tout le bien qu'ils faisaient autour d'eux. «
Notre roi est un souverain comme il y en a peu, entendait-¬on
dire partout, mais c'est dommage qu'il n'ait pas d'héritier...
» Qu'advient-il en effet d'un royaume sans prince ? Un jour
le vieux roi meurt et il n'y a personne pour porter la couronne. Alors
on la dépose dans un coffret et on l'y oublie...
On avait à peu près abandonné tout espoir lorsqu'un
fils naquit enfin, exauçant le vœu du couple royal. Cent
un coups de canon tonnèrent et annoncèrent au peuple
l'heureux événement. On peut s'imaginer la joie qui
régna et les fêtes qui eurent lieu i Le mignon petit
prince, rose comme une fleur de pommier, sommeillait dans son berceau
d'ivoire.
Trois fées se penchèrent sur lui. La première
souhaita qu'il fût le plus beau prince qui eût jamais
vécu sur cette terre. La deuxième dit : « Et moi
je le doterai d'un bon cœur et d'un heureux caractère,
ce qui vaut bien mieux qu'une beauté passagère. »
Mais la troisième déclara: « Afin que tant de
dons ne le rendent pas vaniteux, je le pourvoirai d'une magnifique
paire d'oreilles d'âne, les plus longues qui existent au monde.
»
Les trois vœux ne tardèrent pas à se réaliser.
Le petit prince devint un bel enfant débordant de vie, avec
des fossettes creusées dans ses joues roses et un ravissant
visage encadré d'une magnifique chevelure blonde et bouclée,
qui tombait sur ses épaules et le faisait ressembler à
un angelot. Le roi et la reine cependant étaient préoccupés
par les oreilles de l'enfant, qui croissaient plus vite qu'on ne l'eût
souhaité. Et quelles oreilles, mes amis !
Elles poussèrent tout d'abord une pointe semblable
à des oreilles de souris, puis elles commencèrent à
se retourner comme les oreilles du lièvre de la fable. Finalement,
elles devinrent de véritables oreilles d'âne, droites,
rigides, pareilles à des cornes velues. Le prince pouvait les
remuer en tous sens, et il prit l'habitude de le faire souvent, jusqu'à
ce que sa mère en larmes l'eût supplié de renoncer
à cette manie.
Afin que personne ne sût que le prince héritier avait
de telles oreilles, le roi et la reine mandèrent au château
un habile chapelier qui prit la mesure des oreilles (une aune et demie,
nota-t-il sur son carnet) et confectionna un bonnet dont on affubla
le prince. Cette coiffure, attachée sous le menton, maintenait
les oreilles repliées, et le pauvre garçon la supportait
malaisément, surtout quand il faisait chaud. Mais il dut se
soumettre à cette contrainte. Quant au chapelier, on lui ordonna
de garder le secret sa vie durant. S'il laissait échapper un
seul mot, il serait puni de mort.
Mais le fait que le prince avait des oreilles d'âne était,
pour le brave artisan, un secret bien trop lourd à porter.
Il se rendit auprès d'un homme réputé pour sa
sagesse et lui dit: « Je sais quelque chose que je ne puis révéler
à personne, mais ce secret m'étouffe ! » - «
Qu'à cela ne tienne, répliqua l'homme; prends une bêche,
fais un trou dans la prairie et confie lui ton secret.
Recouvre-le, puis prends un rameau de noisetier et plante-le dans
la terre fraîchement remuée. » Le chapelier suivit
ce conseil, fit le trou, lui confia son secret et planta le rameau
de noisetier.
Le printemps suivant, tout un buisson de noisetier avait poussé
sur le trou recouvert de terre. C'était un arbrisseau vigoureux,
avec des branches pleines de sève qui fournissaient d'excellentes
baguettes de coudrier. Bientôt tous les garçons accoururent
auprès du buisson. Chacun se tailla une baguette et s'en fit
un chalumeau.
Mais quels instruments curieux que ces flûtes et sifflets !
Ils avaient une voix humaine et il suffisait de les porter aux lèvres,
et sans même y souffler, pour qu'ils chantent avec la voix du
chapelier. Et voici ce qu'ils disaient : Notre prince Rais de soleil
ne peut être sans bonnet. D'un âne il a les oreilles,
et c'est là mon lourd secret.
Les enfants se répandirent aussitôt dans la ville en
jouant cet air de flûte. Leurs trilles résonnaient dans
les rues et cette musique attira la foule comme le fait une marche
militaire. Les gens se précipitèrent en masse aux portes
du château et exigèrent que le beau prince sortît
et jurât que le bruit que l'on répandait était
faux. Alors le prince apparut et cria au peuple le plus fort qu'il
put: « Eh bien, oui, j'ai malheureusement des oreilles d'âne,
mais qu'y puis-je ? » Et il retira vivement son bonnet, au grand
désespoir de bon nombre de ses sujets qui le plaignaient de
sa disgrâce.
Mais, ô merveille! Le prince Rayon de soleil n'avait pas d'oreilles
d'âne. La fée, voyant
qu'il avait surmonté sa vanité et confessé la
vérité, les avait fait disparaître comme par enchantement.
Et le bon prince dit au chapelier: « Non, tu ne seras pas puni;
sans ton indiscrétion, je porterais encore ces vilaines oreilles.
Tu m'en as délivré. Et maintenant, je n'aurai plus rien
à cacher. Dieu en soit loué ! »
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