Les contes hindous
contes du Vampire
Comment les quatre jeunes gens firent revivre un lion.
Alors le roi Trivikramasena se rendit de nouveau vers
l'arbre simsapâ pour y prendre le vampire. Il le mit sur son
épaule et, tandis qu'il marchait, le vampire lui dit en cours
de route : « Sire, vous êtes bon et brave. Écoutez
ce récit extraordinaire. »
Il y a longtemps régnait sur terre, à Pataliputra, un
roi du nom de Dharanivarâha. Son royaume abondait en brâhmanes,
et, dans un de ces fiefs brahmaniques, à Brahmasthala, vivait
un brâhmane du nom de Visnusvâmin. Ce brâhmane avait
une femme qui était en harmonie avec lui, tout comme l'invocation
rituelle svâhâ est en harmonie avec le feu, mangeur d'offrandes.
De cette union naquirent l'un après l'autre quatre fils. Quand
ces garçons eurent étudié le Véda et cessé
d'être des enfants, Visnusvâmin monta au ciel et son épouse
l'y suivit. Laissés sans protecteur, leur situation devint
misérable, car les gens de leur famille leur avaient dérobé
tous leurs biens.
Ils tinrent conseil entre eux : « Nous n'avons plus le moyen
de vivre ici. Pourquoi n'irions-nous pas dans le village de Yajnasthala,
chez notre grand-père maternel ? »
Ayant pris cette décision, ils se mirent en marche, se nourrissant
du produit de l'aumône. Et après de nombreuses journées,
ils arrivaient enfin à la maison de leur grand-père.
Le grand-père était mort ; ils furent hébergés
par leurs cousins. C'est dans leur maison qu'ils prenaient leurs repas,
là aussi qu'ils poursuivaient leur étude du Véda.
Mais, après quelque temps, comme ils étaient si pauvres,
leurs cousins vinrent à leur témoigner du mépris
quand il s'agissait de nourriture, de vêtements et d'autres
commodités. Leur cœur fut affecté par ce mépris
que manifestaient ainsi leurs cousins. En cachette, ils se concertèrent.
Le frère aîné dit aux autres : « Frères,
qu'allons-nous faire ? C'est le destin qui décide de tout,
l'homme ne possède de pouvoir propre en quoi que ce soit, quand
et où que ce soit. Aujourd'hui, par exemple, je marchais à
l'aventure, dans ma détresse, quand je suis arrivé à
un cimetière. Je vois là un homme mort qui gisait à
terre, le corps en décomposition. A cette vue j'enviais son
sort, me disant : Heureux homme, il se repose, délivré
qu'il est du fardeau de la souffrance. A ce moment j'avais résolu
de me donner la mort : je m'étais pendu à un lacet que
j'avais attaché à une branche d'arbre. J'avais perdu
conscience. Mais avant d'avoir expiré, voici que la corde rompt
et je retombe à terre. Revenu à moi, j'aperçois
un homme compatissant qui me ranime à l'aide de son vêtement
dont il m'évente. Dites-moi, mon ami, dit cet homme, pourquoi
vous laissez-¬vous aller ainsi au désespoir, vous qui êtes
pourtant un homme de savoir ? Le bonheur vient des actes bons, le
malheur, des actes mauvais : tout est là. Si votre acte de
violence vient de votre malheur, alors pratiquez le bien. Voulez-vous
encourir les souffrances de l'enfer en vous donnant la mort? Quand
il m'a eu consolé par ces paroles, l'homme s'en est allé
je ne sais où. J'ai abandonné tout dessein de suicide
et suis rentré. Voyez donc, si le destin s'y oppose, il n'est
même pas permis de mourir. Maintenant j'ai l'intention d'aller
dans un lieu saint et de consumer mon corps en austérités.
Ainsi échapperai-je du moins au malheur qu'est la pauvreté.
»
Quand leur frère aîné eut ainsi parlé,
ses frères s'écrièrent: « Comment se peut-il,
toi qui es intelligent, que tu te laisses tourmenter de chagrin parce
que tu es sans argent ?
Ne sais-tu pas que la richesse est éphémère comme
les nuages de l'automne ? La Fortune est comme une femme frivole :
on peut bien la prendre et faire effort pour la surveiller, elle vous
est intérieurement hostile et fausse en ses marques d'amitié.
A qui reste-t-elle fidèle ? L'homme avisé tâche
d'acquérir quelque vertu qui l'aidera à se saisir des
richesses et sans trêve à les ramener, toutes ligotées,
chez lui. »
A ces paroles des frères, l'aîné reprenant le
contrôle de soi, demanda : « Quelle est la vertu qu'il
conviendrait d'acquérir ? »
Ils y réfléchirent tous et se dirent l'un à l'autre
: « Allons chercher à travers la terre, de quoi faire
l'apprentissage de quelque art particulier. »
Ainsi décidèrent-ils, et, après être convenus
d'une place où ils se retrouveraient plus tard, les quatre
frères prirent le large, chacun dans une direction différente.
Le temps passa. Les frères se rassemblèrent au lieu
prévu pour le rendez-vous, et s'interrogèrent l'un l'autre
sur ce que chacun d'eux avait appris.
« J'ai appris un art particulier, assura le premier, qui me
permet, même si je ne possède que le fragment d'un os
de quelque être vivant, de fabriquer en un instant la chair
lui appartenant. »
Quand le second eut entendu ces mots : « Et moi, dit-il, une
fois la chair produite à partir du fragment d'os, je sais comment
faire naître les poils et la peau qui conviennent à cet
être vivant. »
Le troisième : « Si j'ai la peau, la chair et les poils,
je sais faire les membres du corps auquel les os appartiennent. »
« Et moi, dit le quatrième, je sais comment donner vie
à cet être vivant, s'il possède tous les membres
déjà formés. »
Là-dessus les quatre frères, pour démontrer leurs
savoirs particuliers, se rendirent dans la jungle à la recherche
d'un os. Le hasard voulut qu'ils trouvassent un os de lion. Ils le
prirent sans savoir à quel animal il se rapportait. Le premier
ajouta à l'os la chair appropriée, le second y produisit
la peau et les poils nécessaires, le troisième le compléta
avec tous les membres convenables, le quatrième enfin donna
la vie à cette créature, qui était devenue un
lion. Alors le lion, secouant sa lourde crinière, se dressa
féroce, la gueule menaçante, les dents aiguës,
les griffes cruelles, et il sauta sur ces hommes qui l'avaient créé.
Il les tua tous quatre et, une fois rassasié, rentra dans la
jungle.
Ainsi périrent les quatre brâhmanes pour avoir commis
l'erreur de créer un lion. Qui peut vivre dans le bonheur s'il
a suscité une créature pernicieuse ? Quand le destin
est adverse, une qualification qu'on acquiert, fût-ce à
grand-peine, loin d'être profitable, vous conduit à la
ruine. En règle générale, l'arbre de l'effort
humain ne porte fruit que si les racines en sont saines, si elles
ont été arrosées de l'eau du Savoir et baignées
dans ce bassin qu'est la Sagesse pratique.
Quand le vampire, perché sur l'épaule du roi, eut
raconté cette histoire le long du chemin, cette nuit-là,
il s'adressa au roi Trivikramasena : « Sire, d'entre ces quatre
brâhmanes, auquel incombe la faute d'avoir créé
le lion qui les a tués ? Donnez-moi un avis déterminé,
car le pacte conclu entre nous deux est toujours valable. »
Le roi entendit ces mots et pensa : le vampire va disparaître
dès que j'aurai rompu le silence, puis, tant pis ! Qu'il parte,
j'irai à sa recherche. Et, ayant ainsi réfléchi
au dedans de lui-même, le roi répondit : « Le responsable
parmi eux, c'est celui qui a donné vie au lion. Les autres
sont innocents, car ils ne savaient pas; ils ignoraient quelle créature
particulière ils fabriquaient en produisant par un Pouvoir
magique chair et peau, poils et membres. Mais celui d'entre eux qui,
observant que la forme ainsi obtenue était celle d'un lion,
lui a donné la vie, par désir de déployer son
savoir-faire, celui-là a fait d'eux quatre des meurtriers de
brâhmane. »
Quand le puissant vampire eut entendu le discours du roi, il quitta
son épaule par l'effet de la magie et s'en revint à
son repaire, où le roi se mit de nouveau à sa poursuite.
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