Les contes hindous
contes du Vampire
Le Roi et le Mendiant
Ainsi le roi Trivikramasena arriva près du mendiant
Ksântisila en portant le cadavre sur son épaule. Il vit
le mendiant qui, seul au pied de l'arbre, guettait sa venue, dans
ce cimetière que rendait plus redoutable encore la nuit de
nouvelle lune. Sur le sol enduit de sang, il avait tracé un
cercle magique avec de la poudre blanche faite d'os broyés;
il avait disposé des jarres pleines de sang aux quatre points
cardinaux. Des chandelles de graisse humaine jetaient un vif éclat.
A côté était un feu alimenté par les oblations.
Il avait réuni tous les préparatifs requis pour un hommage
à sa divinité d'élection.
Le roi approcha. Voyant qu'il avait apporté le corps, le mendiant
se leva avec joie et, célébrant le prince : «
Grand roi, dit-il, vous m'avez dispensé une faveur en faisant
quelque chose qui passait pour impossible. Quelle commune mesure y
a-t-il entre un homme de votre espèce et une pareille
entreprise, en un tel lieu, en un tel moment ! C'est à bon
droit qu'on vous appelle le plus grand des empereurs, vous qui êtes
intrépide et qui favorisez les intérêts d'un autre
homme sans tenir compte de votre personne. Voilà ce que les
sages nomment la grandeur des grands : ne pas hésiter devant
une chose promise, lors même que la vie est en jeu. »
Tout en parlant, le mendiant, qui croyait son but atteint, fit glisser
le cadavre de l'épaule du roi, le lava, le frotta d'arômes,
attacha une guirlande autour du corps, puis le mit à l'intérieur
du cercle. Il demeura un instant dans la méditation, le corps
saupoudré de cendres, enveloppé du vêtement du
mort, avec son cordon brâhmanique fait de cheveux humains. Puis
il conjura le vampire à l'aide des formules magiques et le
contraignit d'entrer dans le corps. Puis il fit l'adoration dans la
séquence requise : le don d'hospitalité, avec l'aiguière
consistant en un crâne d'homme; en guise de fleurs et d'onguents
parfumés, une offrande de sang humain; deux yeux humains pour
encens; de la chair d'homme en guise d'offrande à la volée.
Quand il eut terminé le culte, il dit au roi qui se tenait
à son côté : « Sire, allongez-vous à
terre, vous prosternant des huit membres du corps, devant la Souveraine
des formules sacrées, ici présente. Cette dispensatrice
de faveurs vous accordera d'être exaucé quant à
vos désirs. »
Se rappelant les mots du vampire, le roi s'écria : «
Je ne sais comme il faut faire. Montrez-moi d'abord, ô révérend;
je ferai ensuite de la même manière. »
Et tandis que le mendiant se laissait tomber à terre pour lui
montrer, le roi, d'un coup d'épée, lui trancha la tête.
De la poitrine du mendiant qu'il déchira, il retira le cœur,
tel un lotus, et offrit au vampire la tête ainsi que le cœur.
Les troupes de Fantômes applaudissaient de-ci de-là avec
allégresse, cependant que le vampire, satisfait, sortit de
dedans le cadavre et « Sire, dit-il au roi, la souveraineté
sur les Esprits aériens que convoitait ce moine mendiant deviendra
votre lot quand s'achèvera votre règne sur terre. Je
vous ai tourmenté. Choisissez donc une faveur ! »
« Si tu es content, répondit le roi, quelle faveur souhaitable
n'aurai-je pas atteinte ? Pourtant je vais te demander une chose,
s'il est vrai que tu n'as point parlé en vain. Puissent ces
vingt-quatre premiers récits à énigmes, si plaisants
avec leurs péripéties variées, puisse aussi le
vingt-cinquième qui les parachève, devenir tous fameux
et en honneur sur terre ! »
« Il en sera ainsi, dit le vampire. Je vais ajouter quelque
chose de plus précis, écoutez. Ces vingt-quatre premiers
contes et leur épilogue seront fameux à travers le monde.
Ils porteront du mérite sur terre. Ce sera la suite de récits
dénommés les Vingt-cinq Contes du Vampire. Quiconque
en racontera avec diligence, fût-ce un seul verset, quiconque
les écoutera, il sera immédiatement délivré
du mal. Et partout où ces récits seront diffusés,
coboldes et vampires, ogres, sorcières et démons ne
prévaudront pas. »
Quand le vampire eut parlé, il sortit du cadavre par sa Puissance
magique et se rendit où il lui plut d'aller. Alors le Grand
Seigneur en Personne se manifesta, avec les dieux, en présence
du roi qui courbait le front; et, satisfait, il lui adressa la parole
en ces termes :
« Tu as bien fait, mon fils, de tuer ce faux ascète qui
avait l'ardente convoitise de régner sur les Esprits aériens.
Au début des Ères, je t'avais créé comme
une portion de moi-même, sous le nom de Vikramâditya,
afin de détruire les démons qui s'étaient incarnés
en forme de Barbares. Aujourd'hui je t'ai créé une nouvelle
fois en tant que Trivikramasena, roi héros, afin de dompter
un malfaiteur déchaîné. Lorsque tu auras soumis
à ta volonté la terre avec ses îles et ses domaines
infernaux, tu deviendras au bout de peu de temps le souverain des
Esprits aériens. Pendant une longue durée tu jouiras
des plaisirs célestes; puis tu t'en dégoûteras
et y renonceras volontairement. A la fin, tu seras uni à Moi
5, aies-en la certitude. Reçois de ma part cette épée
qui se nomme l'Invincible, grâce à laquelle tu obtiendras
tout ce que j'ai dit. »
Alors le dieu Auspicieux remit au roi l'Épée miraculeuse;
puis il disparut, ayant reçu en hommage des paroles dévotes
et des fleurs.
Quand le roi Trivikramasena eut constaté que tout ce qui était
à faire avait été fait, comme la nuit s'éclaircissait,
il retourna en sa capitale, à Pratisthâna. Là
il fut fêté par ses sujets qui avaient appris, étape
par étape, ses exploits nocturnes. Il y eut des cérémonies
considérables. Toute la journée se passa pour lui à
se baigner, procéder à des dons, adorer Siva, tout cela
parmi les danses, les chants, la musique et autres divertissements.
En peu d'années, aidé par l'épée de Siva
autant que par sa vaillance propre, le roi ordonna sous son Pouvoir
la terre entière, libre d'ennemis, avec ses îles et ses
domaines infernaux.
Alors, quand il eut obtenu l'immense empire sur les Esprits aériens
et qu'il en eut joui un long temps selon les instructions de Siva,
il fut uni au Seigneur, car il avait accompli son destin.
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