Contes et légendes suisses
Provenant de divers cantons
La dame blanche et son chevalier
Une lumière s'alluma dans la tourelle aux oubliettes
du château d'Asuel. C'était le signal convenu. Huzon
de Pleujouse, enveloppé dans une pèlerine couleur muraille,
quitta son castel. Il allait secrètement retrouver Alie, sa
fiancée, et son cœur battait bien fort. Le père
d'Alie, le baron Walther, après avoir approuvé le projet
d'union entre les deux jeunes gens, s'était ravisé.
Il avait promis la main de sa fille à un puissant seigneur
de Lorraine, le comte Robert de Maleroche. Mais l'intendant du château
d'Asuel, jean de Boécourt, avait déclaré à
dame Eline, la gouvernante: « Si le baron Walther est traître
à sa parole, nous autres, ses serviteurs, saurons bien le contraindre
à la respecter. » Alors dame Eline, qui avait élevé
Alie et qui la chérissait, avait ouvert, à minuit, la
poterne secrète.
A voix basse, elle dit à Huzon :
- Noble chevalier, celle que vous aimez vous attend. Nous la confions
à votre honneur.
Alie d'Asuel et Huzon de Pleujouse étaient amis d'enfance.
Ensemble, ils avaient joué et couru dans les bois, cueilli
les jonquilles au printemps, pêché la truite dans les
ruisseaux clairs, chevauché de compagnie sur les routes de
l'Ajoie. Alie avait assisté au tournoi de Montbéliard
où Huzon avait provoqué le félon chevalier Pierre
de Morimont, qui avait traîtreusement assassiné son père.
Vainqueur par la grâce de Dieu, Huzon avait reçu, des
mains de la gracieuse Alie, une riche ceinture brodée. Maintenant,
la tête appuyée sur l'épaule de son fiancé,
elle lui assurait: - Plutôt mourir que d'être la femme
de Robert de Maleroche.
Ils convinrent de fuir avec la complicité de l'intendant et
de la gouvernante, si le baron Walther ne revenait point sur sa décision.
Et ils se séparèrent après avoir échangé,
comme le font tous les fiancés du monde, des promesses d'éternelle
fidélité.
Mais le lendemain déjà, le baron Walther, au cours d'une
cérémonie solennelle, accorda la main de sa fille au
comte Robert de Maleroche.
- Les fiançailles, dit-il, auront lieu dès demain, et
le mariage sera célébré trois jours après,
en notre chapelle de Saint-Nicolas. Telle est ma décision.
Alie eut à peine la force de s'écrier: - Non, jamais!
Plutôt mourir... Puis elle s'évanouit.
Dès qu'elle eut recouvré ses esprits, dame Eline lui
murmura:
- Feignez de n'avoir pas repris connaissance et ne prononcez pas un
mot.
Aidée par l'intendant, elle emporta la jeune fille dans ses
appartements. Puis elle avertit Huzon qui se présenta de nouveau
à minuit à la poterne et enleva sa fiancée. Mais
le baron Walther, qui avait entendu quelque bruit, inquiet de la santé
d'Alie, se rendit dare-dare à la tourelle aux oubliettes et
trouva la chambre vide. Il alerta ses gens et ceux de Robert de Maleroche
et la poursuite s'engagea.
Les deux fuyards, l'un monté sur un bel alezan, l'autre sur
une blanche haquenée, faisaient diligence, traversant, échevelés,
champs et bois. Mais hélas, la troupe les rejoignit bientôt.
Un archer lorrain, tout en chevauchant, tendit son arc. Une flèche
siffla et atteignit Alie qui, telle une fleur coupée, tomba
sur l'herbe couverte de rosée. Huzon mit pied à terre,
combattit bravement, mais succomba sous le nombre. Un coup de lance
le transperça de part en part, et il s'affaissa à côté
de la douce Alie.
Les gens de Pleujouse, ayant entendu le bruit du combat,
accoururent. Grande fut leur désolation, car tout le monde
aimait le jeune et beau seigneur et sa charmante fiancée.
On transporta les deux jeunes gens au château de Pleujouse et
on décida de ne pas séparer ceux que la vie, puis la
mort, avaient unis.
Alors, si vous passez un jour dans le jura bernois, entre le vieux
chemin bordé de noisetiers qui conduit aux ruines de Pleujouse,
et la route qui se dirige vers Charmoille, arrêtez-vous auprès
d'un tertre fleuri, surmonté d'une croix de bois. C'est le
tombeau des deux fiancés.
La légende raconte que, quatre fois par an, à chaque
renouvellement de saison, il leur est permis, en souvenir de leur
fidélité, de revenir sur terre et de se promener, comme
autrefois, la main dans la main.
C'est pourquoi, à minuit, on peut voir celle qu'on appelle
dans le pays la Dame blanche, avec ses longs cheveux dorés
flottant sur sa tunique de lin. Elle est accompagnée de son
chevalier dont la brillante armure scintille sous les bienveillants
rayons de la lune.
Et, se profilant à l'horizon, les châteaux d'Asuel et
de Pleujouse renaissent aussi pour un soir.
Redressant leurs tours et leurs donjons, ils retrouvent, fugitivement,
leur fière mine d'antan.
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