Contes et légendes suisses
Provenant de divers cantons
La fée d'Evolène
Il y avait une fois, dans la forêt qui domine
Evolène, une fée très gentille qui s'ennuyait.
Sa grotte, tapissée de mousse, lui semblait trop sombre et
trop silencieuse. Chaque jour, elle allait s'asseoir sur un rocher
qui surplombe le village. Elle regardait, là-bas, au milieu
de la placette, jouer les enfants et se lamentait de ne pouvoir se
joindre à eux. Plusieurs fois, elle était descendue
afin de se mêler à leurs rondes. Dès qu'elle paraissait,
les petits s'enfuyaient en criant et les mamans, barricadées
derrière les grosses portes à ferrures de forteresse,
lui lançaient:
- Allez-vous-en, maudite fée!...
Ces mots brisaient le cœur de la gentille fée d'Evolène.
Plus les années passaient et plus la fée s'ennuyait.
Parfois, elle se penchait sur le filet d'eau qui coulait devant sa
grotte et s'y contemplait comme en un miroir. Elle se trouvait jolie
avec ses cheveux d'un blond de froment d'août, sa bouche fine
et son teint clair. Elle se regardait et elle soupirait. A quoi lui
servait d'être belle puisque personne ne l'admirait ? Puisque
personne ne l'aimait et ne lui souriait ? Il lui arrivait de pleurer
comme aux filles des hommes, il lui arrivait de souhaiter mourir mais
elle savait bien que les fées ne meurent pas.
Les larmes, loin de rider son visage, la rendaient toujours plus jolie.
Et son regret était toujours plus vif de vivre inutile dans
la solitude.
Or il arriva qu'un jour, François, le bûcheron d'Evolène,
vint à passer devant la grotte de la fée mélancolique.
François était un très beau garçon, à
la moustache noire, aux regards tendres. Son cœur, jamais encore
n'avait su se fixer. On lui disait: « Aucune fille n'est assez
jolie pour toi; tu devrais demander la fée en mariage... »
Aujourd'hui, il faisait semblant de se rendre à son travail
mais, en secret, il pensait sans doute que les gens avaient raison
et que la fée pourrait être la femme qu'il attendait.
Or, tandis qu'il s'avançait sur la pointe des pieds, il vit
assise devant sa grotte la petite fée qui pleurait. François
la regarda longtemps. Son cœur s'émouvait. Enfin, il dit:
- Madame, vous êtes si belle et vous pleurez...
La fée, surprise, leva son visage. Comme elle était
touchante, derrière le rideau de ses larmes! L'espoir, soudain,
faisait briller ses prunelles. Sa voix douce répondit:
- Je pleure parce que je suis seule, parce que personne ne me vient
voir. Et quand je descends au village, tout le monde me fuit. Vous
me maudissez alors que moi je ne vous veux que du bien.
Ils se regardèrent et ils comprirent qu'ils s'aimaient. Alors,
la fée se leva et s'avança vers François.
Elle était si belle que le bûcheron d'Evolène
tomba à genoux devant elle. - Voulez-vous être ma femme
? demanda-t-il en tremblant. - Oui, si tu me promets de ne jamais
me dire: - Maudite fée!
- Je vous le promets.
- Eh bien! Je te suivrai au village et tu me protégeras de
la méchanceté des femmes et des hommes.
François, transporté de bonheur, ramena la fée
au village. Ils se marièrent et chacun envia le bonheur de
ce couple si bien assorti.
Après une année, il leur naquit une jolie petite fille
qui leur donna beaucoup de joie. Ils l'appelèrent Pervenche
parce qu'elle avait des yeux d'un joli bleu transparent comme la fleur
des bois. Elle était blonde et claire comme sa mère
et François, pendant plusieurs années, s'estima le plus
heureux des hommes.
Cependant, un jour qu'il rentrait de la forêt, fatigué
par son travail, il se mit en colère parce que le repas n'était
pas sur la table. La fée, occupée à peigner les
jolis cheveux de Pervenche, avait oublié l'heure. François
était un homme colérique. Il ne se contint plus. Dans
son irritation, il dit. - Tu n'es qu'une maudite fée...
Aussitôt, la fée disparut, laissant la fillette en larmes
et François désemparé...
L'homme connut aussitôt sa faute et la regretta. Mais en vain
se mit-il à la recherche de sa femme. Il ne la trouva nulle
part. Pourtant, quand il revint chez lui, il vit que Pervenche avait
été nourrie par sa mère, lavée, peignée.
La fée était donc rentrée à la maison.
Seulement, toutes ses prières furent inutiles: la fée
pour lui demeurait invisible.
II en fut ainsi pendant plusieurs années. Pervenche
attendait le départ de son père, chaque matin, avec
impatience. A peine avait-il fermé la porte derrière
lui que la maman entrait. Et François, au retour, se désolait
car il aurait bien voulu retrouver le bonheur de jadis.
Il pria tant Pervenche de demander à sa maman de lui pardonner
qu'un jour la fillette lui dit:
- Ce soir, à minuit, vous sortirez sur le balcon; si vous avez
le courage d'embrasser celle qui s'y trouvera, maman vous pardonnera.
Le cœur de François battit aussi fort que le jour de son
mariage. A minuit, il fut exact au rendez-vous. Horreur! Une affreuse
vipère l'attendait sur le balcon.
Il poussa un cri et faillit s'enfuir. Mais il pensa à la jolie
fée qui reviendrait habiter auprès de lui et se domina.
La vipère s'avançait, levait vers lui sa tête
triangulaire. Ah!... Mais François, crispant ses muscles dans
un effort désespéré, tint bon. Il sentit les
écailles glacées sur ses lèvres. Il ferma les
yeux, il allait hurler. Au même instant, il reconnut devant
lui, la merveilleuse fée qu'il aimait tant. Ses beaux cheveux
d'or ruisselaient sur ses épaules. Ses yeux bleus luisaient
dans le clair de lune.
Il la prit dans ses bras et de nouveau ils furent heureux auprès
de la petite Pervenche qui grandissait au milieu d'eux.
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