Contes et légendes suisses
Provenant de divers cantons
La plus belle fleur du vallon de Dornach
A l'ombre des manoirs et des châteaux-forts de
la campagne bâloise, au temps où les hautains chevaliers
opprimaient les serfs, il y avait une petite chaumière où
vivait la plus belle fleur du vallon de Dornach. C'est ainsi que l'on
nommait la gracieuse fille du marguillier. Mechtild, sa mère,
et Rodolphe, son père, veillaient sur elle. Le bonheur de leur
enfant était leur cher souci. Mais si la
bonne mère souhaitait que l'aile du malheur n'effleure point
sa fille, le père, dans son orgueil, désirait conclure
pour elle un beau mariage avec un homme à la fois riche et
noble. Lorsque les damoiselles de haut lignage, descendues des châteaux,
passaient fièrement à côté de l'humble
chaumière, Rodolphe les comparait à sa fille. Il la
trouvait cent fois plus belle. « Ah! mère, que dirais-tu
si tu voyais notre Maria porter d'aussi beaux atours?
- La modestie, répondait Mèchtild, est le plus bel ornement
des filles. Rappelle-toi que, même chez les gens haut placés,
tout ce qui brille n'est pas or! »
Mais le père, à l'ouïe de ces sages paroles, haussait
les épaules.
Maria eut dix-sept ans et, dans toute la vallée, on louait
sa beauté et sa grâce. Alors, un jour, un chasseur de
fière prestance s'arrêta devant la chaumière de
Rodolphe. « II est revenu aux oreilles de mon maître,
dit-il, que, chez vous, poussaient les plus belles fleurs du vallon.
Son désir est que je lui en apporte un bouquet... » Flatté,
Rodolphe s'inclina et, en souriant d'aise, pria le visiteur d'entrer.
Quel ne fut pas l'étonnement de l'étranger en se trouvant
tout à coup en présence de la belle Maria:
« Quelle est cette noble damoiselle? demanda-t-il.
- Ce n'est point une damoiselle, répondit le père, c'est
ma fille unique.
- Votre fille? Bien que je ne sois qu'un chasseur au service du chevalier
de Birseck, j'ai vu maintes belles dames au château, mais jamais
merveille semblable! »
Et le père, vaniteux, se rengorgeait à entendre ces
flatteries, qui faisaient même effet sur la prudente mère.
Quant à Maria, elle prépara le bouquet et on invita
le chasseur à revenir.
Vous pouvez bien penser qu'il ne se priva point de rendre visite au
marguillier.
Mais il tâchait surtout de gagner les bonnes grâces de
la fille. En vain, car Maria avait promis sa foi au brave fils d'un
paysan aisé, le gentil Beno. Celui-ci fronçait tout
de même les sourcils en voyant le chasseur frapper si fréquemment
à la porte de la chaumière. Mais Maria le tranquillisait
en lui assurant qu'elle restait indifférente aux avances de
ce soupirant venu du château, et qu'elle n'avait guère
confiance en ses paroles dorées.
« Maître Rodolphe, dit un jour le chasseur au père
de Maria, à l'avenir, je n'entrerai plus dans votre demeure
car votre fille m'évite. Cette naïve enfant a sûrement
donné son cœur à un lourdaud de paysan... »
L'écho de ces paroles amena moult querelles dans la maison
jadis si heureuse. Et la pauvre Maria versait d'abondantes larmes
quand son père lui reprochait d'avoir gâché sa
vie. C'est alors qu'un événement imprévu mit
fin à ce triste état de choses et fit oublier tout ce
qui s'était passé jusqu'alors. Un beau soir, dame Mechtild
et sa fille, revenant de Munchen¬stein où elles avaient
rendu visite à une malade, furent attaquées, aux environs
d'Arles¬heim, par quatre vilains drôles. En vain supplièrent-elles
qu'on leur fît grâce. Maria, saisie par des bras forts,
fut emportée dare-dare sur les hauteurs, tandis que sa mère,
jetée sans égards dans un buisson épineux, perdait
connaissance. On la découvrit au petit matin et on la ramena
à la chaumière.
La nouvelle de ce rapt se répandit dans toute la vallée.
Les jeunes gens, Beno en tête, se mirent en route pour retrouver
Maria, la délivrer et punir les ravisseurs. Malgré leurs
efforts, aucune recherche n'aboutit. Mais une nuit, alors que les
malheureux parents, vieillis par le chagrin, avaient perdu tout espoir
de revoir leur enfant, Beno ramena à la chaumière la
pauvre Maria, pâle, amaigrie, presque méconnaissable.
Elle raconta ses malheurs:
- Comme tu le sais, chère mère, on m'entraîna
plus morte que vive sur les hauteurs. Effrayée, je m'évanouis.
Quand je revins à moi, je gisais dans un endroit sombre et
humide et devant moi se tenait un homme vêtu d'un pourpoint
de soie et coiffé d'un béret à plume. Je reconnus
le chasseur qui se vanta d'être l'auteur de mon enlèvement.
« Sache, dit-il, sotte fille, que je ne suis pas un simple chasseur,
mais bien le chevalier Bodo de Ramstein. Comme punition de ton entêtement
et de ton mépris, tu languiras dans ce cachot.»
Quelle triste situation que la mienne! Jours et semaines passèrent
lentement, lentement et je me désespérais toujours plus.
Mais je repris courage lorsque les chauds rayons du soleil printanier,
pénétrant par une petite ouverture grillagée,
entrèrent dans mon cachot et que les joyeux oiseaux se remirent
à chanter dans les buissons. Je sentis que ma délivrance
était proche.
Et cet espoir ne fut pas déçu car, il y a quelques jours,
un jeune berger qui gardait son bétail s'approcha de mon cachot.
Je pus lui parler. II se chargea de porter un message à Beno
qui, durant ces deux dernières nuits, creusa dans le mur branlant
un trou par lequel je pus m'échapper...
Peu après l'heureux retour de Maria à la chaumière,
et pendant qu'elle préparait son mariage, on apprit, dans la
vallée, que le chevalier Bodo avait été mortellement
blessé par une pierre qui l'avait atteint à la tête
alors qu'il surveillait les réparations des murs de son château
de Birseck.
Ce n'étaient point des racontars. Car, lorsque Beno et sa jeune
femme, suivis des hôtes de la noce, sortirent de l'église
d'Arlesheim, ils virent passer une petite troupe de cavaliers qui
emmenaient le chevalier Bodo à sa dernière demeure:
le tombeau familial du château-fort de Ramstein.
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