Contes et légendes suisses
Provenant de divers cantons
Les trois épreuves
Hans était un jeune paysan des montagnes d'Obersax.
Très éveillé, il n'avait pas, comme on dit, froid
aux yeux. II ne craignait pas, par nuit noire, de descendre dans les
gorges les plus sombres, car le mugissement des torrents lui était
familier depuis sa plus tendre enfance. De plus, il était l'ami
de tous les animaux. Il ne dérangeait pas les hiboux quand
il les trouvait endormis dans une grotte, et il pouvait passer des
heures à observer le travail laborieux des fourmis et des abeilles.
Trouvait-il une souris prise dans une trappe, il lui rendait aussitôt
la liberté. II ne redoutait que les chauves-souris qui, au
crépuscule, volent de façon si bizarre.
Son père le considérait avec fierté et lui disait
souvent: «Mon fils, tu dois faire autre chose dans la vie que
d'entasser du foin ou d'étendre du fumier. »
Un jour, un fondeur arriva au village pour doter la vieille église
de nouvelles cloches. Le père pria le fondeur de bien vouloir
admettre Hans dans sa corporation. Le maître se déclara
d'accord et le jeune homme se montra si adroit au cours de son apprentissage
que le fondeur disait: - S'il persiste dans cette voie, il pourra
être initié aux plus grands secrets de la fonte des cloches.
» Mais il y avait trois épreuves difficiles que les génies
du feu imposaient aux futurs compagnons, et dont ceux-ci devaient
triompher. Les secrets du métier ne devaient pas être
dévoilés à celui qui s'en montrait indigne.
Le jour fatidique approchait. La veille, le fondeur conduisit Hans
dans une cave sombre et profonde. On n'y distinguait qu'un grand tas
de sable. Au cours de la nuit, le candidat devait en extraire toutes
les parcelles de minerai qui s'y trouvaient et qui étaient
nécessaires à la fonte d'une cloche. C'était
là la première épreuve. Le maître s'en
alla et ferma sur l'apprenti la lourde porte de fer qu'il verrouilla
de l'extérieur.
Hans s'assit tranquillement sur le tas de sable et attendit. Il se
rendait compte qu'il ne pourrait venir seul à bout de cette
tâche. Pourtant sa confiance ne l'abandonnait pas. Mais sa patience
fut bientôt mise à une rude épreuve. D'impertinentes
chauves-souris, entrées par les ouvertures des murs, volaient
sous la voûte du plafond pour voir comment il s'y prenait.
Enfin, peu avant que le jour naisse, une aide lui vint: des fourmis,
surgies de toutes les jointures des pierres. Chacune portait un lumignon
sur la tête. Les bestioles industrieuses se mirent à
fouiller le sable. Elles entassèrent les paillettes et, le
matin, quand le maître arriva, il constata que le métal
était proprement séparé du sable. Quant aux fourmis,
leur travail achevé, elles avaient disparu.
Le deuxième jour, le fondeur déclara au brave Hans qu'il
devait aller chercher la corde enchantée à laquelle
on fixerait sa cloche. Le jeune homme, un peu découragé
et fort perplexe, se demanda où il
pourrait bien trouver cette fameuse corde. Il eut alors l'idée
de monter
jusqu’'aux ruines du château de Mooregg. Et voilà
qu'un hibou se pose tout à coup sur son épaule; le même
qu'il avait défendu une fois contre de méchants corbeaux
qui voulaient lui faire un mauvais parti alors qu'il couvait ses œufs.
II lui murmure à l'oreille: « Va dans la grotte du diable!
n C'était une caverne secrète qu'il était seul
à connaître. Les rochers lisses et humides, dans lesquels
elle était creusée, plongeaient dans un abîme
sans fond. Hans grimpa au sommet, s'assit au bord du précipice
et attendit en tambourinant des talons contre la paroi de pierre.
Peut-être, se disait-il, les fourmis viendront-elles de nouveau
à mon secours.
Ce ne furent pas les fourmis, mais les souris qui lui vinrent en aide.
Elles arrivèrent en troupe, descendirent prestement la paroi
de rocher jusqu’à la grotte dans laquelle elles s'engouffrèrent.
Le hibou qui avait suivi Hans lui révéla qu'un gros
serpent noir veillait sur la fameuse corde que les sorcières
d'Obersax avaient cachée derrière un rocher. C'est alors
que les araignées accoururent pour assister Hans, car il avait
toujours pris soin de ne pas déchirer leurs toiles et leurs
fils dans ses randonnées. Elles grimpèrent sur le rocher
et firent tomber leur venin sur le serpent. Ce venin l'engourdit si
bien qu'il glissa dans le précipice. Les souris, habilement,
se saisirent de la corde, la tirèrent hors de la gorge et la
réussite de la deuxième épreuve fut assurée.
Le troisième matin, le maître lui imposa
la dernière épreuve. La cloche qu'on avait fondue en
utilisant le minerai tiré du tas de sable était terminée,
et Hans eut pour mission de lui donner un ton qu'aucune autre cloche
ne possédait. C'était là une tâche ardue,
car il y a tant et tant de cloches, de grandes et de petites, de vieilles
et de neuves, et chacune a son ton. Comment en trouver un nouveau
? C'est pour le tirer d'embarras que ses amis lui vinrent une fois
encore en aide. La reine des fourmis se rendit à la ruche de
la reine des abeilles pour lui demander son concours. Cette dernière
accepta car Hans n'avait jamais de sa vie fait de mal à une
abeille. Alors que la cloche déjà fixée pendait,
muette, à son échafaudage, un essaim composé
de milliers et de milliers d'abeilles s'en vint bourdonner aux oreilles
de Hans. Tout à coup il entendit le ton cherché, car
les abeilles, entourant leur reine, s'étaient posées
en grappe sur les poutres de l'échafaudage et bruissaient en
cadence. « Voici le ton qu'il me faut, s'écria ¬t-il,
aucune autre cloche ne le possède encore. » Le maître
et les génies du feu acceptèrent ce ton-là et,
peu après, la première cloche du jeune homme d'Obersax
sonna en accord avec le chœur des abeilles.
Hans devint un célèbre fondeur de cloches. Mais il n'oublia
jamais les petits amis qui l'avaient secondé à ses débuts.
Les abeilles trouvaient toujours dans son jardin les fleurs les plus
odorantes. Il s'entretenait
volontiers avec les souris, les fourmis et les araignées et,
le soir, avec le vieil hibou qu'on voyait souvent posé sur
la fenêtre du jeune fondeur.
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